Passionnante interview de Jean Luc Giribone, en préambule au colloque “Au-delà du moi, la liberté ? - Psychanalyse, philosophie et méditation”.(1)
Normalien, agrégé de lettres, éditeur, professeur en France et aux Etats-Unis, écrivain, il aborde dans cet entretien réalisé par Nicolas D’Inca, la communauté évidente de la “recherche du soi” qui existe entre la psychanalyse et le bouddhisme, en comparant notamment Jacques Lacan dont il a suivi les séminaires et Chögyam Trungpa.
Là où l’entretien devient réellement intéressant c’est quand il introduit la notion de paradoxe qui devient nécessaire pour résoudre des problématiques aussi bien de recherche de soi que dans des pratiques thérapeutiques plus classiques. Il souligne ainsi le paradoxe du bouddhisme zen dont l’essence est “zazen”, pratique de la méditation assise, qui consiste précisément à “ne rien faire”. Et encore, il aurait pu préciser que non seulement on doit “s’asseoir et ne rien faire” mais encore on doit le faire sans chercher à obtenir quoique ce soit …
Et c’est sans chercher à obtenir quoique ce soit et en ne faisant rien que l’on créé “du jeu” et de l’espace pour quelque chose.
Il existe quelques livres sur le sujet (2), tous un petit peu décevants, mais il me tarde de lire un jour une analyse comparative pertinente entre le bouddhisme zen et la psychanalyse.
Le bouddhisme zen (et non les autres formes de bouddhisme comme le bouddhisme tibétain qui selon ma compréhension “promet” plus que le bouddhisme zen qui, comme le souligne très justement Jean Luc Giribone “déçoit” toujours car il ne donne pas de réponse) précise très bien le “biais” psychologique qu’introduit l’ego dans la vie de chacun.
Shunryu Suzuki dans le monumental “Esprit zen, esprit neuf” le dit très bien :
"tant que vous pensez : "Je suis en train de faire ceci", ou "je dois faire ceci", ou "je dois atteindre quelque chose de spécial", en réalité vous ne faites rien. Quand vous abandonnez, quand vous avez cessé de vouloir quelque chose, ou que vous n’essayez pas de faire quelque chose de spécial, alors vous faites quelque chose."
En d’autres termes, quand vous pensez égocentriquement à ce que vous faites, vous n’êtes plus dans ce que vous faites. C’est aussi simple que cela.
Je pourrais citer également Herrigel que j’ai déjà cité dans ce blog :
"Quand tout découle de l’oubli total de soi et du fait qu’on s’intègre à l’évènement sans aucune intention propre, il convient que, sans aucune réflexion, direction ou contrôle, l’accomplissement extérieur de l’acte se déroule de lui-même". (dans “Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc”).
Dès que l’on est orienté par l’ego on “sort” de soi et on n’est plus dans une appréhension authentique, directe et réelle de sa vie. On se déplace en quelque sorte de soi.
On peut reprendre à ce titre et pour illustrer mon propos l’image du tireur à l’arc qui vise la cible : la trajectoire de son oeil à la cible est structurellement en décalage avec la trajectoire de la flèche !
Que nous dit la psychanalyse ? La même chose. Qu’il faut tout autant enlever les couches qui au fil des années et notamment dans l’enfance on recouvert ou “tordu” notre moi authentique. La psychanalyse permet de se “retrouver” et de comprendre qui on est vraiment.
Comme le formulait très bien Lacan qui expliquait les trois étapes fondamentales d’une psychanalyse :
1) je parle mais ce n’est pas moi qui parle à quelqu’un qui n’est pas celui auquel je m’adresse
2) c’est moi qui parle mais toujours pas à celui à qui je m’adresse
3) c’est enfin moi qui parle et réellement à la personne à qui je m’adresse (on retrouve la trajectoire de la flèche si vous voulez !)
Dans le bouddhisme zen, comme dans la psychanalyse, on essaye si ce n’est de gommer mais au moins d’avoir conscience des projections qui déforment notre appréhension de la réalité et des autres. Il s’agit d’arrêter de se “mentir” à soi-même.
Un troisième élément de perspective serait pour moi l’analyse de la création artistique qui trouverait parfaitement sa place après cette analyse comparative de la psychanalyse et du bouddhisme zen dans la recherche du soi, puisque précisément l’artiste “authentique” est tout entier dans son expression, et plus l’artiste oublie son ego et plus, selon moi il nous touche, car il n’est pas “cyniquement” à côté de son oeuvre mais dedans.
L’entretien :
http://philosophies.tv/spip.php?article255
Le blog de Nicolas d’Inca :
http://psychologie-meditation.blogspot.com/
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(1) : Le colloque :
http://psychologie-meditation.blogspot.com/2010/09/au-dela-du-moi-la-liberte-bouddhisme-et.html
(2) : "Bouddhisme Zen et psychanalyse" de Fromm Erich, Suzuki Daisetz Teitaro, et Martino Richard
"Le bouddhisme au risque de la psychanalyse" de Eric Vartzbed
"Bouddhisme et psychanalyse" de Nina Coltart, Fabrice Midal, et Corinne Marotte