Passionnant colloque samedi dernier à l’ENS sur le transhumanisme.
Personnellement j’ai une appréhension certainement marginale du problème.
Habituellement les gens posent la question, par exemple de la fusion homme/machine, de la manière suivante :
- l’homme va-t-il vers une fusion avec la machine ?
- l’homme doit-il aller vers une fusion avec la machine ?
La réponse à la première question est évidente :
- l’externalisation des fonctions humaines sur des objets non humains existe depuis que l’homme est homme : vêtements, écriture (disque dur externe de la mémoire humaine), outils (quelle différence finalement entre un exosquelette et un marteau ?), etc ….
- que cette “externalisation” devienne “interne” importe peu; que j’inscrive ma liste de courses sur un papier ou sur une barrette de mémoire supplémentaire dans mon corps : quelle différence ?
La réponse à la deuxième question ne se pose pas, car même si on pourra vaguement légiférer à la marge, fondamentalement on ne lutte pas contre un tsunami.
Non, personnellement je vois tout cela sous un angle différent puisque pour moi l’homme peut déjà être considéré une machine. C’est une machine tellement complexe qu’elle semble différente en nature des “vraies machines”, c’est tout (un peu comme une photo numérique ayant une telle résolution qu’elle semble différente en nature d’une photo numérique basse résolution, pixellisée).
Dans un précédent post, je vous disais qu’il faudrait 100 000 ans à une personne à plein temps pour dresser la carte d’un mm3 de notre cerveau humain. Mais le jour où on aura démonté cette immense base de données qu’est l’homme, on ne pourra que constater que c’est une machine comme les autres. C’est juste qu’aujourd’hui on ne comprend pas comment elle fonctionne donc cela semble “magique”. Par exemple on commence à comprendre (et à mesurer) que notre humeur, nos émotions dépendent en grande partie du dosage de certains neurotransmetteurs dans notre cerveau.
Pour donner une image, si on mettait Joseph Cugnot (qui présente en 1769 le premier chariot à vapeur) dans une Ferrari aujourd’hui il deviendrait fou et serait bien incapable (de prime abord) de voir une forme de continuité entre sa machine et la Ferrari.
Finalement ce qui nous spécifie (si je réfléchis vite) c’est une conscience réflexive (et donc le langage) et une forme de continuité et de mémoire (David Latapie de Technoprog rappelait l’anecdote du vaisseau de Thésée* fort à propos).
Pour moi, à partir du moment où ces deux conditions sont remplies, cela me convient très bien. Un robot qui développerait une conscience dynamique et autoréflexive ou un être humain donc le corps biologique (c’est déjà le cas de nos cellules) pourrait entièrement être remplacé serait tout aussi “humain” l’un que l’autre.
Alors, il est évidemment flatteur de se dire à quel point l’être humain est si unique et si différent des autres formes de vies; mais honnêtement il suffit de regarder le visage d’un singe** pour y voir de “notre” humanité.
1) l’association Technoprog
http://transhumanistes.com/
2) Comme souvent, je vous renvois à la lecture du texte désormais culte de Bill Joy qui a littéralement révolutionné ma vision du problème il y a une dizaine d’années déjà :
http://delphinequeme.tumblr.com/post/13594967565/pourquoi-le-futur-na-pas-besoin-de-nous
* Vaisseau de Thésée : après avoir vaincu le Minotaure dans le labyrinthe de Dédale en Crète, Thésée revient victorieux à Athènes. Le peuple athénien conserve le vaisseau de son héros et petit à petit remplace ici et là une poutre, un mât, …. pour le garder en bon état. Arrive un jour où toutes les pièces du bateau ont été remplacées : est-ce toujours le vaisseau de Thésée ?
** le singe : pour mémoire on partage 98% des chromosomes avec les chimpanzés - l’homme étant génétiquement plus proche du chimpanzé que le chimpanzé ne l’est du gorille